Le rôle de l'intellectuel radical - quelques réflexions personnellesNoam ChomskyVO : Exposé à l'occasion du A.E. Havens Centerâs Award for Lifetime Contribution to Critical Scholarship, 8 avril 2010 VF : CHOMSKY.fr, 8 juin 2010 Traduction : Cédric Louvet pour CHOMSKY.fr
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Je nâai pas besoin de dire combien je suis ravi et reconnaissant pour cet honneur, qui offre également lâoccasion de jeter un regard sur les années passées. Ce qui me vient à lâesprit le plus nettement ce sont les dernières années, peut-être parce-que jây ai beaucoup pensé ces derniers temps, pour dâautres raisons. Elles ont été, bien-sûr, des années très formatrices pour moi personnellement, mais je crois que leur importance va malheureusement bien au-delà . Je suis juste assez vieux pour avoir des souvenirs des discours dâHitler à la radio il y a 75 ans. Je ne comprenais pas les mots, mais je pouvais facilement saisir la menace du ton et les acclamations de la foule. Jâai écrit mon premier article politique en février 1939, juste après la chute de Barcelone. Je suis sûr quâil nâavait rien de mémorable. Je mâen souviens beaucoup moins que de lâambiance de peur et d'appréhension qui régnait. Lâarticle commençait avec ces mots: âLâAutriche tombe, la Tchécoslovaquie tombe, et maintenant Barcelone tombeâ â et lâEspagne avec, quelques mois après. Les mots me sont toujours restés à lâesprit, tout comme lâangoisse, la perception des nuages sombres du fascisme se rassemblant sur lâAllemagne, puis lâEurope et peut-être au-delà , une force grandissante d'une inimaginable horreur. Bien que personne ne pouvait prévoir la Shoah ("Holocaust"), la Nuit de Cristal (âKristallnachtâ) avait eu lieu juste quelques semaines auparavant et la fuite désespérée des réfugiés sâétait accentuée au fil des ans, beaucoup dâentre eux incapables de croire ce qui était en train de se passer. Au cours de ces années jâavais également eu ma première expérience avec des intellectuels radicaux â bien quâils ne seraient pas appelés âintellectuelsâ selon la définition standard, qui sâapplique à des gens avec statut et privilège qui bénéficient dâune position leur permettant dâatteindre le public avec leurs réflexions sur les affaires humaines et leurs préoccupations. Et puisque le privilège confère une responsabilité, la question qui se pose toujours est de savoir comment utilisent-ils cette responsabilité sujets très vivants durant ces années à travers les travaux dâErich Fromm, Russell et Dewey, Orwell, Dwight â¨MacDonald, et dâautres que jâallais connaître bientôt. Mais les intellectuels radicaux de mon enfance étaient différents. Câétaient des personnes de ma famille, des travailleurs, à New York, pour la plupart au chômage pendant la dépression, bien quâun oncle, qui était handicapé, avait un kiosque à journaux grâce aux mesures du New Deal et pouvait ainsi soutenir une grosse partie de la famille. Mes parents pouvaient aussi aider, à plus petite échelle. En tant que professeurs d'hébreu à Philadelphie, ils avaient cette chance rare de travailler, donc nous avions un flot constant de tantes et de cousins qui vivaient avec nous périodiquement. Les membres de ma famille de New York avaient une éducation scolaire limitée. Mon oncle, qui sâoccupait du kiosque à journaux et qui a eu une énorme influence sur ma jeunesse, nâétait pas allé au delà du CM1 (âfourth gradeâ). Mais ce fut lâun des cercles intellectuels les plus vivants dont jâai pu faire partie, au moins en périphérie en tant quâenfant. Il y avait des discussions sans fin à propos de la dernière représentation du Quatuor à Cordes de Budapest, les polémiques entre Stekel et Freud, les politiques radicales et lâactivisme, qui atteignait alors des sommets impressionnants. Les sit-in étaient particulièrement importants, juste une étape avant la reprise des usines par les travailleurs et le changement radical de la société â des idées qui devraient être très vivantes aujourdâhui. Tout en étant un facteur majeur des mesures du New Deal, lâactivisme grandissant des travailleurs a fait naître une forte inquiétude dans le monde des affaires. Ses personnalités éminentes mettaient en garde contre âle risque auquel font face les industriels avec le soulèvement politique des masses,â et insistaient sur le besoin dâintensifier âlâéternelle bataille pour gagner lâesprit des hommes,â et dâinstituer des programmes afin de venir à bout de cette menace à lâordre et à la discipline, mis de côté pendant la guerre, mais repris ensuite avec un dévouement et une ampleur extrêmes. Les Ãtats-Unis se démarquent particulièrement des autres sociétés industrielles par lâexistence dâune communauté dâaffaires hautement consciente des différences de classes, combattant sans relâche dans une cruelle guerre de classes, avec des niveaux extraordinaires de violence durant dans les années précédentes, et plus récemment au travers dâoffensives de propagande de masse. Certains de mes parents étaient proches du Parti Communiste, dâautres étaient profondément anti-communiste et de gauche ; et certains, comme mon oncle, étaient anti-Bolchevique et bien plus à gauche. Parmi ceux proches du parti, alors quâil y avait une obéissance rituelle à la Russie, jâavais le sentiment que lâessentiel du débat câétaient les droits civiques et le mouvement de travailleurs, la réforme du système de protection sociale et un vrai désir de changement social. Le parti était une force qui nâanticipait pas de victoires rapides, mais qui était toujours présent, prêt, persévérant, dévoué à initier une nouvelle lutte après une défaite provisoire, quelque chose quâil nous manque vraiment de nos jours. Le parti était aussi lié à un mouvement plus large dâéducation des travailleurs et dâassociations et, de façon non négligeable, câétait une opportunité pour mes tantes couturières au chômage de passer une semaine à la campagne dans un camps de lâILGWU (International Ladies' Garment Workers' Union) ou faire dâautres sorties pour échapper à ce qui aurait dû être une sinistre réalité, bien que je mâen souvienne depuis ma propre expérience personnelle â qui a bien-sûr ses limites â comme une époque qui était pleine dâespoir, bien au contraire dâaujourdâhui où les conditions sont de fait bien moins terribles. En 1941, je passais autant de temps que je pouvais dans le centre de Manhattan, gravitant autour dâun autre groupe dâintellectuels radicaux dans les petites librairies sur la 4ème Avenue tenues par des réfugiés anarchistes de la révolution espagnole de 1936, ou au bureau du journal anarchiste Freie â¨Arbeiter Stimme (âLa Voix du travailleur libreâ) près dâUnion Square. Eux aussi ne correspondaient pas à la formule standard définissant les intellectuels. Mais si par ce terme on veut décrire des gens qui réfléchissent sérieusement à la vie et à la société, à leurs problèmes et les solutions possibles, sur un arrière plan de savoir et de compréhension, alors câétaient en effet des intellectuels, et plutôt impressionnants. Ils étaient assez contents de passer du temps avec un gamin qui était fasciné par la révolution anarchiste de 1936, que je pensais alors, et que je pense toujours, avoir été lâun des sommets de la civilisation occidentale et quelque part un repère pour un avenir meilleur. Jâai recueilli beaucoup de documents que jâai utilisés 30 ans plus tard quand jâécrivais sur le sujet, pour la plupart non publiés à lâépoque. Parmi ces archives remarquables, il y avait un recueil de documents traitant de la collectivisation, publié en 1937 par la CNT (âConfederación nacional del trabajoâ) le syndicat anarchosyndicaliste qui célèbre son centenaire cette année (1910-2010). Il est une contribution qui me reste à lâesprit depuis, faite par des paysans du village de Membrilla. Je voudrais la citer en partie : Dans les misérables huttes de Membrilla vivent les pauvres habitants dâune pauvre province; huit mille personnes, mais les rues ne sont pas pavées, la ville nâa pas de journaux, pas de cinéma, ni même un café ou une librairie⦠La nourriture, les habits et les outils étaient distribués équitablement à la population entière. Lâargent était aboli, le travail collectivisé, tous les biens passaient par la communauté, la consommation était socialisée. Ce nâétait néanmoins pas la richesse qui était socialisée mais la pauvreté⦠La population entière vivait intégrée dans de grandes familles ; les fonctionnaires, les délégués, les secrétaires des syndicats, les membres du conseil municipal, tous élus, agissaient comme des chefs de famille. Mais ils étaient contrôlés, parce-que les privilèges ou la corruption nâétaient pas tolérés. Membrilla est peut-être le village le plus pauvre dâEspagne mais câest le plus juste. Ces mots, pronconcés par un des plus pauvres paysans du pays, capte avec une rare éloquence les réalisations et les promesses de la révolution anarchiste. Les réalisations ne sont pas sorties de nulle part bien-sûr. Câétait le résultat de plusieurs décennies de lutte, dâexpérience, de répression brutale â et dâapprentissage. Le concept de savoir comment une société juste devrait être organisée était dans lâesprit de la population quand lâopportunité est arrivée. Lâexpérience de la création dâun monde de liberté et de justice a été écrasée bien trop tôt par les forces combinées du fascisme, du Stalinisme et de la démocratie libérale. Les centres majeurs de pouvoir avaient très bien compris quâils devaient sâunir afin de détruire cette menace dangereuse à la subordination et à la discipline avant de se tourner vers la tâche secondaire de démembrer les restes. Des années plus tard, jâai pu parfois assister en première ligne à la vie de gens pauvres endurant une répression brutale et de la violence â dans les bidonvilles misérables de Haïti au sommet de la terreur dans le milieu des années 90, soutenue par Washington, bien que les faits soient toujours étouffés et hautement pertinents au regard des tragédies actuelles. Ou dans les camps de réfugiés au Laos, où des dizaines de milliers de gens étaient regroupés, jetés de leurs maisons par une armée de mercenaires de la CIA après des années à essayer de survivre dans des grottes sous un bombardement acharné qui nâavait rien à voir avec la guerre au Viêt Nam, une des plus graves atrocités de lâhistoire moderne, encore largement inconnue et tuant toujours beaucoup de gens à cause dâun territoire saturé de munitions non-explosées. Ou en Palestine et en Turquie du sud-est et beaucoup dâautres endroits. Parmi ceux-là , la Colombie du sud est particulièrement importante à mes yeux pour des raisons personnelles, où des âcampesinosâ (ouvriers agricoles), des indigènes et des Afro-Colombiens sont expulsés de leurs terres dévastées par la terreur et la guerre chimique, appelée ici âfumigationâ, comme si dâune certaine façon nous avions le droit de détruire dâautres pays sous des prétextes que nous fabriquons â des gens capables dâune sympathie et dâune humanité miraculeuses, malgré une souffrance atroce pour laquelle nous jouons un rôle majeur, pendant que nous regardons dans une autre direction â pas à Madison cependant, grâce au travail du groupe de soutien de la Colombie. Une des choses que jâavais apprise dans les librairies et les bureaux anarchistes il y a 70 ans câétait que jâavais eu tort de croire que la chute de Barcelone en 1939 avait sonné la mort de la liberté en Espagne. Cela avait eu lieu deux ans auparavant,  en mai 1937, quand la classe ouvrière industrielle avait été écrasée par la répression menée par les Communistes et les armées Communistes à travers toute la campagne détruisant les collectivités, avec l'aide des démocraties libérales et avec Hitler et Mussolini attendant en coulisse â une immense tragédie pour lâEspagne, même si cela nâa pas été la victoire que les prédateurs avait anticipée. Quelques années après, je suis parti de la maison pour faire mes études à Harvard, où jâai eu ma première expérience avec lâélite du monde intellectuel. En arrivant, je suis allé à la traditionnelle réception organisée par les professeurs pour les nouveaux étudiants et je suis tombé sur un philosophe éminent qui mâaffirmait que la Dépression nâavait pas eu lieu. Câétait une fabrication des libéraux. Il nây avait pas eu de mendiants frappant en désespoir à nos portes au début des années 30, pas de femmes ouvrières battues par les forces de sécurité au cours dâune grève dans une usine de textile devant laquelle je passais en tramway avec ma mère à lââge de cinq ans environ, mes parents de la classe ouvrière au chômage nâavaient pas existé non plus. Quelques hommes dâaffaire avaient peut-être souffert, mais rien de plus que ça. Jâai appris ensuite que cela était loin dâêtre une exception, mais je ne veux pas suggérer que câétait typique des intellectuels de Harvard. La plupart étaient des libéraux du type Stevenson, des gens qui applaudissaient quand Stevenson disait aux Nations Unies que nous devions défendre le Viêt Nam contre  une âagression interneâ, un âassaut de lâintérieurâ, comme le Président Kennedy le disait. Ce sont des phrases quâon entend encore aujourdâhui, par exemple, dimanche dernier, dans le New York Times, où on lisait quâaprès la conquête de Marja dans la province dâHelmand, les Marines sâétaient heurtés à une identité Talibane si dominante que le mouvement ressemble plus à la seule organisation politique dans une ville à parti unique, avec une influence qui touche tout le monde. âNous devons réévaluer notre définition du mot 'ennemiââ a dit Brig. Gen. Larry Nicholson, commandant de la brigade expéditionnaire de Marines dans la Province de Helmand. âLa plupart des gens sâidentifient comme Talibans⦠Nous devons réajuster notre façon de penser de manière à ce que nous nâessayions pas de chasser les Talibans de Marja, mais que nous essayions de chasser lâennemi,â a-t-il dit. Il est un problème qui a toujours tourmenté les conquérants, et qui est très familier aux Ãtats-Unis pendant la guerre du Viêt Nam, où lâéminent spécialiste du gouvernement des Ãtats-Unis, dans un ouvrage encensé de part et dâautre, déplorait que lâennemi de lâintérieur était le seul âvéritable parti politique de masse au Sud-Viêt Namâ et que tous nos efforts pour rentrer politiquement en compétition seraient perdus dâavances, donc nous devions vaincre cette force politique en utilisant notre avantage comparatif, la violence â ce que nous avons fait. Dâautres ont dû faire face à des problèmes similaires : par exemple, les Russes en Afghanistan dans les années 80, une invasion qui a aussi provoqué le scandale que nous provoquons pour les crimes de nos ennemis. Le spécialiste du Moyen-Orient William Polk nous rappelle que les Russes âont gagné de nombreuses victoires et au travers de leurs programmes dâaction civique ils ont pu conquérir de nombreux villagesâ â et en fait, comme nous le savons de source fiable, ils ont créé une paix substantielle à Kaboul, particulièrement pour les femmes. Mais, pour continuer avec Polk, âtout au long de leur décennie dâengagement, les Russes ont gagné presque toutes les batailles et ont littéralement occupé à un point ou à un autre le moindre centimètre du pays, mais ils ont perdu⦠la guerre. Quand ils ont abandonné et sont partis, les Afghans ont repris leur mode de vie traditionnel.â Les dilemmes auxquels font face Obama et McChrystal ne sont pas vraiment les mêmes. Les ennemis que les Marines essayent de chasser de leurs villages nâont quasiment aucun soutien de lâextérieur. Les envahisseurs Russes, de façon très différente, faisaient face à une résistance qui recevaient le soutien vital des Ãtats-Unis, de lâArabie Saoudite et du Pakistan, qui enrôlaient les fondamentalistes Islamiques radicaux les plus extrêmes quâils pouvaient trouver â incluant ceux qui terrorisaient les femmes à Kaboul â et les armaient avec des armes perfectionnées, tout en faisant avancer le programme d'islamisation radicale du Pakistan, encore un des cadeaux de Reagan au monde, comme les armes nucléaires du Pakistan. Le but de ces opérations américaines nâétait pas de défendre lâAfghanistan. Cela a été clairement expliqué par le chef de la CIA à Islamabad, qui sâoccupait des opérations. Le but était de âtuer des soldats Russes.â Il se vantait quâil âaimaitâ ce ânoble objectif,â rendant très clair, selon ses mots, que âla mission nâétait pas de libérer lâAfghanistan,â qui ne nous intéressait pas en soi. Je suis sûr que vous connaissez les vantardises du même acabit proférées par Zbigniew Brzezinski. Au début des années 60, jâétais fortement impliqué dans des activités anti-guerre. Je ne rentrerai pas dans les détails, bien quâils nous en disent beaucoup sur le climat intellectuel, notamment dans le monde libéral de Boston. En 1966, mon propre engagement était suffisamment important pour que ma femme retourne à lâuniversité afin dâobtenir un diplôme supérieur 17 ans plus tard à cause de la probabilité dâune longue peine de prison â que j'ai évitée de justesse. Le jugement avait déjà été annoncé, mais annulé après lâoffensive du Têt, qui avait convaincu le monde du business que la guerre devenait trop coûteuse et, de toute façon, que les objectifs majeurs de la guerre avaient été atteints â une autre histoire que je ne développerai pas. Après lâoffensive du Têt et le changement dans la politique officielle, il se trouvait soudainement que tout le monde avait été un opposant de la première heure à la guerre â dans un profond silence. Les biographes de Kennedy ont réécrit leurs compte-rendus afin de présenter leur héros comme une colombe â absolument pas dérangés par les révisions radicales ou par la multitude de documents et de preuves démontrant que JFK envisageait un retrait dâune guerre quâil savait impopulaire à lâintérieur du pays, seulement après quâune victoire eût été assurée. Même après lâoffensive du Têt, les doutes allaient croissant dans ces cercles, non pas à propos des notions sentimentales de bien et de mal que nous réservons pour les crimes des ennemis, mais au sujet des chances de succès de repousser lââassaut de lâintérieurâ. Un paradigme pourrait être représenté par les réflexions d'Arthur Schlesinger lorsquâil commençait à être préoccupé par le fait que la victoire ne soit finalement pas à portée de main. Comme il le dit, ânous prions tousâ pour que les faucons aient raison et que la montée en puissance militaire apporte la victoire. Et si câest le cas, nous honorerons la âsagesse et la qualité du pouvoir étatiqueâ du gouvernement des Ãtats-Unis dans la victoire militaire, tout en laissant âle pays tragiquement ravagé et dévasté par les bombes, brûlé par le napalm, transformé en une terre à lâabandon par la défoliation chimique, une terre de ruines et de carcasses,â avec ses âstructures politiques et institutionnellesâ pulvérisées. Mais lâescalade militaire ne réussira probablement pas et se montrera trop coûteuse pour nous-mêmes, donc peut-être que la stratégie devrait être repensée. Très peu de choses ont changé aujourdâhui quand Obama est salué comme un opposant de premier plan à lâinvasion de lâIrak parce-que câétait une âerreur stratégiqueâ, des mots quâon aurait également pu lire dans la Pravda dans le milieu des années 80. La mentalité impériale est profondément ancrée. Câest triste à dire, mais pas faux, quâau sein du spectre dominant les impérialistes libéraux sont âles gentils.â Une probable alternative est révélée par les plus récents sondages. Presque la moitié des votants disent que leurs opinions sont en moyenne plus proches du âTea Partyâ que du président Obama, quâune minorité préfère. Il y a une cassure intéressante. Quatre-vingt sept pour cent des membres de la soit-disant âClasse Politiqueâ disent que leurs opinions sont plus proches de celles dâObama. Soixante-trois pour cent de ce quâon appelle âles Américains Moyensâ disent que leurs opinions sont plus proches du âTea Partyâ. Sur quasiment tous les problèmes, les électeurs font plus confiance aux Républicains quâaux Démocrates, et ceci significativement. Une autre évidence câest que ces sondages révèlent un déni de confiance plutôt quâune marque de confiance. Le niveau de colère et de peur dans le pays nâest en rien comparable à ce dont je peux me souvenir dans ma vie entière. Et depuis que les Démocrates sont au pouvoir, le dégoût envers le monde social-économique-politique se rapporte à eux. Malheureusement, ces attitudes sont compréhensibles. Pendant 30 ans, les revenus moyens ont stagné ou décliné pour la majorité de la population, les indicateurs sociaux se sont progressivement détériorés depuis le milieu des années 70 après avoir suivi de près la croissance durant les années précédentes, les heures de travail et la précarité ont augmenté avec lâendettement. La richesse sâest accumulée, mais dans très peu de poches, menant à une inégalité probablement record. Tout ceci est, en grande partie, la conséquence de la financiarisation de lâéconomie depuis les années 70 et de lâeffondrement de la production intérieure. Ce que les gens voient se dérouler sous leurs yeux, câest que les banquiers qui sont les premiers responsables de la crise actuelle et qui ont été sauvés de la banqueroute par lâargent public se réjouissent maintenant de profits records et dâénormes bonus, pendant que le chômage officiel reste à environ 10 pour cent et que dans lâindustrie de la manufacture il atteint des niveaux de dépression, de 1 chômeur pour 6 actifs, avec de fortes probabilités de non-retour à un bon emploi. Les gens ont raison de demander des réponses et ils nâen obtiennent pas, sauf de la part de ceux qui racontent des fables qui ont une certaine cohérence interne, mais seulement si vous mettez de côté votre scepticisme et entrez dans leur monde dâirrationalité et de malhonnêteté. Tourner en ridicule les manigances du âTea Partyâ est une grave erreur, je pense. Il serait bien plus pertinent de comprendre ce quâil y a derrière elles et de se demander pourquoi des gens légitimement en colère sont mobilisés par lâextrême droite et non pas par des forces telles que celles qui faisaient ce travail dans ma jeunesse, au temps de la formation du CIO [âCongress of Industrial Organizationsâ â fédération de syndicats créée dans les années 30] et dâautres formes constructives dâactivisme. Pour prendre juste un exemple du fonctionnement réel de la démocratie des marchés, les institutions financières qui étaient le soutien majeur dâObama, sont devenue si dominantes que leurs profits dans lâéconomie, représentant quelques pour-cent dans les années 70, atteignent aujourdâhui presque le tiers. Ils ont préféré Obama à McCain et ont ainsi acheté l'élection pour lui. Ils sâattendaient à être récompensés et ils lâont été. Mais il y a quelques mois, en réagissant à la montée du mécontentement de la population, Obama a commencé à critiquer les âbanquiers avaresâ qui avaient été sauvés par les forces publiques et a même proposé des mesures contraignantes. Cet écart a été puni très rapidement. Les grandes banques ont clairement annoncé quâelles détourneraient leurs aides financières vers les Républicains si Obama sâobstinait dans sa rhétorique insultante. Obama a entendu le message. En quelques jours, il a informé la presse des affaires que les banquiers sont des âtypesâ biens. Il a rendu un hommage appuyé aux présidents de deux institutions importantes bénéficiaires des largesses publiques, JP Morgan Chase et Goldman Sachs et a garanti au monde des affaires que âcomme la majorité des américains, je ne dénigre pas la réussite ou la richesse des gensâ â telles que les bonus et les profits qui exaspèrent la population. âCela fait parti du système du marché libre,â a continué Obama, de façon assez juste en somme, puisque le concept de âmarché libreâ est interprété dans la doctrine du capitalisme d'Ãtat. Ceci ne devrait pas être une grande surprise. Cet incorrigible radical Adam Smith, en parlant de lâAngleterre, observait que les principaux architectes du pouvoir étaient les propriétaires de la société, les marchands et les fabricants à son époque, et quâils sâassuraient que les politiques servaient scrupuleusement leurs intérêts, quelle que soit la âsouffranceâ infligée au peuple dâAngleterre, et, pire, aux victimes de âlâinjustice sauvage des Européensâ à lâétranger. Les crimes britanniques en Inde étaient une préoccupation majeure dâun conservateur bien-pensant avec des valeurs morales, une catégorie que Diogène pourrait chercher de nos jours. Une version moderne et plus sophistiquée de la maxime de Smith est âla théorie de lâinvestissement en politiqueâ ("investment theory of politics"), de lâéconomiste politique Thomas Ferguson, qui considère les élections comme des occasions pour des groupes dâinvestisseurs de se rassembler pour le contrôle de l'Ãtat en sélectionnant les architectes des politiques qui serviront leurs intérêts. Il se trouve quâil sâagit dâun très bon indice pour prédire les politiques sur de longues périodes. Cela ne devrait pas être surprenant. Les concentrations du pouvoir économique chercheront naturellement à étendre leur influence sur tout processus politique. Câest extrêmement développé aux Ãtats-Unis, comme je lâai mentionné. Il y a ces jours-ci des discussions très animées pour savoir si, ou à quel moment, les Ãtats-Unis céderont leur position dominante dans les affaires à la Chine et à lâInde, les puissances mondiales montantes. Il y a une part de vérité dans ses lamentations. Mais à part des idées fausses au sujet de la dette, des déficits et de lâétat actuel de la Chine et de lâInde, les débats se basent sur une sérieuse erreur de jugement à propos de la nature du pouvoir et de son exercice. Et dans les travaux académiques et les discours publics, il est courant de considérer que les acteurs des affaires internationales sont des Ãtats en quête dâun objectif mystérieux appelé âintérêt nationalâ, indépendants de la distribution interne du pouvoir. Adam Smith avait un regard plus aiguisé et son truisme radical fournit un rectificatif très utile. En le gardant en tête, on peut voir quâil y a en effet un déplacement global du pouvoir, mais pas celui qui occupe le devant de la scène: un déplacement plus poussé de la force de travail vers le capital transnational, sâintensifiant brusquement durant les années néolibérales. Le coût est considérable, incluant les travailleurs aux Ãtats-Unis, des paysans affamés en Inde et des millions de travailleurs protestataires en Chine, où la part du travail dans le revenu national décline encore plus rapidement que dans la plupart des autres pays du monde. Lâéconomiste politique Martin Hart-Landsberg observe que la Chine joue en effet un rôle essentiel dans le déplacement global réel du pouvoir, en étant largement devenue une usine dâassemblage pour un système de production régionale. Le Japon, Taïwan et dâautres économies avancées dâAsie exportent des pièces détachées et des composants vers la Chine et fournissent la majeure partie de la technologie de pointe. La force de travail chinoise lâassemble et lâexporte. Par exemple, une étude de la âSloan Foundationâ a estimé que pour un iPod de 150 dollars exporté à partir de la Chine, environ 3 pour cent de sa valeur est ajoutée en Chine, mais cela est tout de même considéré comme une exportation chinoise. Une grande préoccupation est apparue au sujet de la hausse du déficit commercial des Ãtats-Unis avec la Chine, mais on remarque moins que le déficit commercial avec le Japon et le reste de lâAsie a fortement diminué, alors que le nouveau système de production régionale se met en place. Un communiqué du Wall Street Journal concluait que si la valeur ajoutée est correctement calculée, le véritable déficit commercial entre les Ãtats-Unis et la Chine se réduirait de 30 pour cent, alors que le déficit commercial des Ãtats-Unis avec le Japon augmenterait de 25 pour cent. Les fabricants américains suivent la même logique, ils fournissent des pièces détachées et des composants à la Chine pour quâelle les assemble et les exporte, de retour vers les Etats-Unis pour la plupart. Pour les institutions financières, les géants de la grande distribution, les propriétaires et les équipes dirigeantes des industries manufacturières et les secteurs étroitement liés à ce réseau de pouvoir, tout ceci est divin. Pas pour les travailleurs Américains, mais comme Smith le faisait remarquer, leur destin nâest pas la préoccupation des âprincipaux architectes de la politiqueâ. Câest vrai quâil nây a rien de fondamentalement nouveau dans le processus de dés-industrialisation. Les propriétaires et les directeurs recherchent naturellement les coût de main d'Åuvre les plus bas ; les efforts pour faire autrement, de façon célèbre par Henry Ford, ayant été anéantis par les tribunaux, câest désormais une obligation légale. Un moyen est le déplacement de la production. Auparavant, le déplacement était essentiellement interne, surtout vers les états du sud, où la main d'Åuvre pouvait être durement réprimée. Les plus grosses sociétés, comme lââUS steel corporationâ du philanthrope vénéré Andrew Carnegie, pouvaient aussi profiter de la nouvelle force de travail-esclave créée par la criminalisation des noirs après la fin de la reconstruction en 1877, une pièce maîtresse de la révolution industrielle Américaine, qui continua jusquâà la Seconde Guerre Mondiale. Cela a été reproduit en partie pendant la récente période néolibérale, avec la guerre contre la drogue utilisée comme un prétexte pour ramener la population superflue, majoritairement noire, dans les prisons, et en fournissant également une nouvelle source de main d'Åuvre carcérale dans les prisons dâétat ou privées, pour lâessentiel en violation des conventions internationales du travail. Pour beaucoup d'afro-Américains, puisquâils ont été exportés dans les colonies, la vie nâa pratiquement jamais quitté lâétau de lâesclavagisme, ou parfois pire. Plus récemment, le déplacement se fait majoritairement à lâétranger. Pour en revenir aux accusations contre les âbanquiers avaresâ, pour être juste, nous devrions admettre quâils ont une défense valable. Leur tâche est de maximiser les profits et les parts de marché; en fait, câest leur obligation légale. Sâils ne le font pas, ils seront remplacés par quelquâun qui le fera. Ce sont des faits institutionnels, comme le sont les inefficacités inhérentes du marchés qui leur demandent dâignorer le risque systémique : la probabilité que les transactions quâils effectuent vont faire du mal à lâéconomie en général. Ils savent très bien que ces politiques vont probablement asphyxier lâéconomie, mais ces externalités, comme on les appelle, ce ne sont pas leurs affaires, et elles ne peuvent pas lâêtre, non pas parce-que ce sont des gens méchants, mais pour des raisons institutionnelles. Il est également injuste de les accuser dââexubérance irrationnelle,â pour emprunter à Allan Greenspan sa brève reconnaissance des réalités pendant le boom technologique artificiel de la fin des années 90. Leur exubérance et la prise de risque était plutôt rationnelle, lorsque lâon sait que quand tout sâécroule, ils ont la possibilité de se réfugier à lâabri de lâétat-nounou, tout en se cramponnant à leurs copies dâHayek, Friedman et Rand. La politique dâassurance du gouvernement est lâun des nombreux encouragements qui amplifient les inefficacités inhérentes du marché. En résumé, ignorer le risque systémique est une propriété institutionnelle inhérente et les encouragements pervers sont une application de la maxime de Smith. Encore une fois, rien de très nouveau. A la suite du dernier désastre, des économistes importants ont accepté lâidée quâun âconsensus émergentâ sâétait développé sur la base dâune ânécessité dâune supervision macro-prudentielleâ des marchés financiers, câest à dire âprêter attention à la stabilité du système financier comme un tout et pas juste par ses composantes individuellesâ (Barry Eichengreen, un des analystes et historiens les plus respectés du système financier). Deux éminents économistes internationaux rajoutent ceci, âil y a une reconnaissance croissante que notre système financier court à sa perte. A chaque fois quâil chute, nous comptons sur des rentrées dâargent et des politiques fiscales laxistes pour le sauver. Cette réponse enseigne ceci au secteur financier : prenez des paris insensés pour être grassement payés et ne vous occupez pas des coûts â ils seront pris en charge par les contribuables au travers de sauvetages et autres méthodes et le système financier âsera ainsi ressuscité pour, à nouveau, parier â et encore échouer.â Le système est un âcercle vicieux,â selon les paroles de lâofficiel de la Banque dâAngleterre, responsable de la stabilité financière. Dâune façon générale, la même logique sâapplique ailleurs. Il y a un an, le monde des affaires a admis que les compagnies dâassurance et lâindustrie pharmaceutique, au plus grand mépris du public, réussira ou plutôt a réussi à détruire la possibilité dâune réforme significative du système de santé â un sujet sérieux, pas seulement pour les gens qui souffrent du système de santé dysfonctionnel, mais également pour des raisons économiques précises. A peu près la moitié du déficit sur lequel on nous dit de nous lamenter est attribuable à des dépenses militaires sans précédents, en hausse sous Obama, et la plupart du reste aux coûts croissants dâun système de santé privatisé virtuellement non régulé, unique dans le monde industriel, unique aussi pour ses cadeaux aux compagnies pharmaceutiques â un système auquel un bon 85 pour-cent de la population est opposé. En août dernier, la couverture de Business Week célébrait la victoire de lâindustrie des assurances santé. Bien-sûr, il nây pas de victoire suffisante, donc ils ont poursuivi la lutte, gagnant plus, toujours contre la volonté dâune large majorité du public, une autre histoire intéressante que je dois mettre de côté. En observant cette victoire, lâAmerican Petroleum Institute, soutenu par la Chambre du Commerce et les autres grands lobbies, ont annoncé quâils utiliseraient le modèle des campagnes de lâindustrie de la santé pour intensifier leurs efforts massifs de propagande afin de convaincre le public de mettre de côté leurs préoccupations à propos du réchauffement climatique anthropogénique. Cela a été réalisé avec grand succès; ceux qui croient en ce canular libéral se sont réduits à à peine un tiers de la population. Les dirigeants qui se dédient à cette tâche savent aussi bien que le reste dâentre nous que le canular libéral est vrai et que les perspectives sont moroses. Mais ils remplissent leur rôle institutionnel. Le destin de lâespèce est une externalité quâils doivent ignorer, dans la mesure où les systèmes de marchés dominent. Une des plus claires et émouvantes manifestations de lâhumeur du public que jâai vues a été écrite par Joseph Andrew Stack, qui a écrasé sont petit avion dans un immeuble de bureaux à Austin, Texas, il y a quelques semaines, en se suicidant. Il a laissé un manifeste expliquant ses actions. Cela a été surtout tourné en ridicule, mais mérite bien mieux, je pense. Le manifeste de Stack retrace lâhistoire dâune vie qui lâa mené à cet acte désespéré. Lâhistoire débute quand il était étudiant adolescent, avec trois fois rien pour vivre à  Harrisburg, PA (Pennsylvanie), près du cÅur de ce qui avait été un grand centre industriel. Sa voisine était une femme de plus de 80 ans, survivant grâce à de la nourriture pour chat, la veuve dâun travailleur métallurgiste retraité. Son mari avait travaillé toute sa vie dans les aciéries du centre de la Pennsylvanie avec des promesses du monde des affaires et du syndicat que, pour ses 30 années de service, il toucherait une pension et des soins médicaux à sa retraite. A la place, il a fait parti des milliers de personnes qui nâont rien eu parce-que lâéquipe dirigeante incompétente de lâaciérie et le syndicat corrompu (sans parler du gouvernement) ont raflé leurs fonds de pensions et ont volé leur retraites. âTout ce quâelle avait pour vivre câétait la sécurité socialeâ (citation) ; et Stack aurait pu ajouter quâil y a eu des efforts continus et concertés par les super riches et leurs alliés politiques pour que même cela soit retiré par des moyens frauduleux. Stack décida alors quâil ne pouvait pas faire confiance au milieu des affaires et quâil deviendrait indépendant, seulement pour découvrir quâil ne pouvait pas faire confiance à un gouvernement qui ne se préoccupait absolument pas des gens comme lui mais uniquement des riches et des privilégiés, ou dâun système légal dans lequel, selon ses mots, âil y a deux âinterprétationsâ pour chaque loi, une pour les très riches et une pour le reste dâentre nous.â Ou dâun gouvernement qui nous laisse avec âla plaisanterie que nous appelons le système médical Américain, incluant les compagnies pharmaceutiques et dâassurance [qui] assassinent des dizaines de milliers de gens par an,â avec des soins largement rationnés en fonction de la richesse, pas du besoin. Tout cela dans un ordre social dans lequel âune poignée de voyous et de malfrats peuvent commettre des atrocités impensables⦠et lorsque vient le moment ou leur poule aux Åufs dâor sâécrase sous le poids de leur gloutonnerie et leur accablante stupidité, la force de lâensemble du gouvernement fédéral nâa aucune difficulté à leur venir en aide en quelques heures, si ce nâest en quelques minutes.â Et bien plus encore. Stack nous dit que son acte final désespéré représentait un effort pour montrer quâil y a des gens prêts à mourir pour leur liberté, dans lâespoir de tirer les autres de leur torpeur. Cela ne me surprendrait pas sâil avait à lâesprit la mort prématurée du métallurgiste qui lâavait instruit sur le monde réel lorsquâil était adolescent. Ce travailleur ne sâétait pas véritablement suicidé après avoir été jeté au dépotoir, mais câest loin dâêtre un cas isolé; on peut ajouter son cas et de nombreux autres cas similaires au coût colossal des crimes institutionnels du capitalisme dâétat. Il y a des études poignantes sur lâindignation et la rage de ceux qui ont été dépouillés lorsque les programmes état-entreprise de financiarisation et de dés-industrialisation ont fermé des usines et détruit des familles et des communautés. Elles révèlent le sentiment de profonde trahison éprouvé par des travailleurs qui croyaient avoir rempli leur devoir envers la société dans le cadre dâun pacte avec le monde des affaires et le gouvernement, pour découvrir quâen fait ils avaient été instrumentalisés pour le profit et le pouvoir, des truismes dont ils ont été soigneusement protégés par les institutions doctrinales. En lisant le manifeste de Joe Stack et de nombreux autres témoignages comme celui-ci, je me surprend à me remémorer des souvenirs dâenfance et bien plus que je ne comprenais pas à lâépoque. La République de Weimar était le sommet de la civilisation occidentale dans les sciences et les arts, et aussi un modèle de démocratie. Pendant les années 1920, les partis libéraux et conservateurs traditionnels entrèrent dans une inexorable phase de déclin, bien avant que le processus ne soit accentué par la Grande Dépression. La coalition qui élut le Général Hindenburg en 1925 nâétait pas très différente de la base qui a poussé Hitler au pouvoir huit ans après, obligeant lâaristocratique Hindenburg à choisir comme chancelier le âpetit caporalâ quâil méprisait. En 1928, les Nazis avaient moins de 3 pour-cent des votes. Deux ans plus tard, la presse la plus respectable de Berlin se lamentait à la vue des ces millions de personnes dans ce âpays hautement civiliséâ qui avaient âdonné leur vote au plus commun, au plus faux, au plus vulgaire charlatanisme.â Le public était écÅuré de lâincessant marchandage des politiques de Weimar, des services rendus par les partis traditionnels aux intérêts puissants et leur échec face aux réclamations du peuple. Ils étaient amenés à devenir des forces dédiées au maintien de la grandeur de la nation et à sa défense contre des menaces inventées dans un état revitalisé, armé et unifié, marchant vers un futur glorieux, mené par la figure charismatique qui mettait en Åuvre âla volonté de lâéternelle Providence, le Créateur de lâunivers,â comme il le clamait devant des foules hypnotisées. En mai 1933, les Nazis avaient non seulement largement détruit les partis traditionnels au pouvoir, mais aussi les énormes partis des travailleurs, les Sociaux Démocrates et les Communistes, ainsi que leurs très puissantes associations. Les Nazis déclarèrent en 1933 que le premier mai serait un jour férié pour les travailleurs, ce que les partis de gauche nâavaient jamais réussi à réaliser. De nombreux travailleurs participèrent aux immenses démonstrations patriotiques, avec plus dâun million de personnes au cÅur du Berlin Rouge (âRed Berlinâ), rejoignant des fermiers, des artisans, des boutiquiers, des forces paramilitaires, des organisations Chrétiennes, des clubs de sport et de tirs, et le reste de la coalition qui prenait forme alors que le centre sâeffondrait. Au commencement de la guerre, 90 pour cent peut-être des Allemands marchaient en chemise verte. Comme je lâai mentionné, je suis juste assez vieux pour me souvenir de ces jours effrayants et menaçants lors de la chute de lâAllemagne de la décence vers le barbarisme Nazi, pour emprunter ces mots  au distingué spécialiste dâhistoire Allemande Fritz Stern. Il nous dit quâil a à lâesprit lâhistoire des Ãtats-Unis quand il analyse âun processus historique dans lequel le ressentiment contre un monde séculier désenchanté a trouvé une délivrance dans la fuite extatique de la déraison.â Le monde est trop complexe pour que lâhistoire se répète, mais il y a cependant des leçons dont il faut se souvenir. Les tâches ne manquent pas pour ceux qui ont choisi la vocation dâintellectuel critique, quelle que soit leur situation dans la vie. Ils peuvent chercher à chasser le brouillard des illusions artificielles soigneusement construites et révéler la réalité crue. Ils peuvent sâengager directement dans des luttes populaires, aider à lâorganisation des innombrables Joe Stacks qui se détruisent eux-mêmes et le monde avec peut-être, et se joindre à eux pour montrer la voie vers un avenir meilleur. |