Lâaide pour le séisme dâHaïti devrait être distribuée aux organisations haïtiennes, pas aux O.N.G. ni aux entrepreneursInterview post-séisme Noam Chomsky |
Interview mené par Keane Bhatt Noam Chomsky est un analyste et activiste qui soutient les haïtiens depuis des décennies. Outre sa carrière révolutionnaire en linguistique au MIT, il écrit, donne des conférences et proteste contre lâinjustice depuis 40 ans. Il est le co-auteur, avec Paul Farmer et Amy Goodman, de « Faire réellement fonctionner Haïti cette fois-ci : les E.U. et le coup dâétat ». Son analyse « La tragédie dâHaïti », incluse dans son livre de 1993, « Année 501 : la Conquête continue », est disponible gratuitement en ligne (0). Cet entretien fut conduit fin février 2010 par téléphone et courriel. Il fut tout dâabord publié dans le magazine ¡Reclama!. Lâintervieweur remercie Peter Hallward pour son aide. Keane Bhatt: Vous avez récemment signé une lettre dans le Guardian (1) où vous protestiez contre la militarisation des secours dâurgence. Vous y critiquiez la mise en avant du contrôle militaire et sécuritaire au détriment des secours et de lâaide humanitaire. Noam Chomsky: Je pense quâil y avait une trop grande insistance sur la militarisation par rapport à lâaide directe au début. Je ne pense pas que cela soit significatif à long terme⦠Les E.U. ont un avantage comparatif en matière de force militaire. Ils ont tendance à réagir à toute chose par la force militaire en premier lieu, câest lâun de leurs points forts. Et je pense quâils en ont trop fait. Il y avait plus de force militaire que nécessaire. Quelques médecins présents à Haïti, dont ceux de «Partners in Health » implantés depuis longtemps là -bas, ont ressenti une forme de racisme à croire [NdT : les E.U.] que les haïtiens allaient se révolter et quâils devaient être contrôlés bien quâil nây ait pas eu de signes avant-coureurs : tout était très calme et tranquille. Lâaccent sur la militarisation a probablement retardé dâune manière ou dâune autre lâarrivée des secours. Jâai suivi la critique générale de la pétition, quâil y avait trop de militarisation. K. B. : Si cette militarisation de lâaide nâétait pas intentionnellement extrême mais plutôt une réponse par défaut des E.U., est ce uniquement le fait dâun heureux hasard quâune présence massive de troupes soit disponible pour gérer les protestations populaires rapidement grandissantes à la suite du séisme ? Un groupe étonnamment important et politisé composé de survivants sâest déjà mobilisé pour demander le retour dâAristide, des réparations françaises plutôt que la charité, etc etc⦠N.C. : Jusquâà présent, au moins, je nâai pas eu connaissance dâemploi des troupes pour maîtriser les protestations. Cela pourrait venir, mais je soupçonne une préoccupation plus urgente, à savoir le désastre imminent de la saison des pluies, terrible à envisager. K.B. : En ce qui concerne les secours, mis à part « Partners in Health », Al Jazeera nota que lâéquipe médicale cubaine fut la première à installer des installations médicales parmi les décombres et quâelle représente le plus gros contingent de personnel médical en Haïti, et cela date dâavant le séisme. Si son travail au Pakistan (séisme de 2005) nous indique quelque chose, câest quâelle sera probablement la dernière à partir. Cuba semble avoir une conduite exemplaire, vieille de plusieurs décennies, dans lâaide étrangère. N.C. : Et bien les cubains étaient déjà présents avant le tremblement de terre. Ils avaient deux cents médecins présents. Et oui, ils ont envoyé très rapidement des médecins et ils ont monté des installations médicales tout aussi rapidement. Le Venezuela a aussi envoyé de lâaide très vite, et câest aussi le premier et le seul pays à totalement annuler la dette. Cette dernière était considérable à cause de PetroCaribe, et câest plutôt frappant de constater que le Venezuela et Cuba ne furent pas invités à la réunion des donateurs de Montréal. En fait le premier ministre dâHaïti, Bellerive, a remercié chaleureusement trois pays: la République Dominicaine, Cuba et le Venezuela pour leur rapide intervention. Ce quâa dit Al Jazeera sur le Pakistan est tout à fait correct. Lors de ce terrible tremblement de terre il y a deux ans, les cubains furent les seuls à aller dans les zones très difficiles en hauteur dans les montagnes, où il est très difficile dây vivre. Ils furent ceux qui restèrent après que tout les autres soient partis. Et rien de tout ça nâest dit aux Etats-Unis. Mais le fait est que, quoi que vous pensiez de Cuba, son internationalisme est vraiment spectaculaire. Et les gens qui travaillent à Haïti depuis des années ont été impressionnés par lâaide médicale cubaine lorsquâils étaient au Pakistan. Câest une vieille histoire. Ce que je veux dire, câest que la contribution de Cuba à la libération de lâAfrique est simplement massive. Et vous pouvez trouver ceci par des recherches approfondies, mais le public ne sait rien de tout ça. K.B. : Sur ce point, vous avez parlé du fait que les âétats ne sont pas des agents moraux. Ils agissent dans leurs propres intérêts. Et cela signifie les intérêts de forces puissantes existantes en leur sein». Comment lâhistoire de lâÅuvre humanitaire exemplaire de lâétat cubain sâinsère dans cette pensée ? N.C. : Et bien je pense que câest juste une composante fondamentale de la révolution cubaine que dâavoir un très haut niveau dâinternationalisme. Ce que je veux dire, câest que ces exemples que vous avez mentionnés en sont une bonne représentation, mais le cas le plus extrême fut la libération de lâAfrique. Prenez le cas de lâAngola par exemple, il y a de véritables rapports entre Cuba et lâAngola (La majorité de la population cubaine vient dâAngola). Mais lâAfrique du Sud, avec le soutien des E.U., après la chute de lâempire portugais, a envahi lâAngola et le Mozambique pour y établir leur propre régime fantôme. Ils essayaient de protéger la Namibie, lâapartheid, et personne ne sâest vraiment bougé. Mais les cubains ont envoyé des forces, qui plus est des soldats noirs, et ils ont battu une armée de mercenaires blancs, ce qui a non seulement libéré lâAngola mais a aussi envoyé un signal fort à travers le continent, un choc psychique : les mercenaires blancs étaient prétendument invincibles, et une armée noire les bat et les renvoient vers lâAfrique du Sud, en fuite. Et bien cela donna un sérieux coup de fouet aux mouvements de libération, ce fut aussi une leçon donnée aux Sud-africains blancs, et un signe que la fin approchait. Ils ne pouvaient pas juste espérer soumettre le continent sur des bases racistes. Bon, cela nâarrêta pas les guerres. Les attaques sud-africaines en Angola et au Mozambique continuèrent jusquâà la fin des années 80, avec un important soutien des E.U. Ce nâétait pas une plaisanterie. Selon les estimations de lâONU, ils tuèrent rien de moins quâun million et demi de personnes. Néanmoins, lâintervention cubaine eut un fort impact, et sur les autres pays dâAfrique aussi. Et lâun des aspects les plus frappants de tout ceci est quâils ne sâen attribuèrent pas le mérite. Ils voulaient quâil revienne aux mouvements nationalistes en Afrique. Et en fait, rien de ceci ne fut donc connu jusquâà ce quâun chercheur américain, Piero Gleijeses, nâen déterre les preuves dans les archives cubaines, parmi des sources africaines et quâil les publient dans des journaux académiques et un ouvrage universitaire. Câest une histoire tout simplement stupéfiante mais à peine connue, une personne sur un million en a déjà entendu parlé. K.B. : Vous avez mentionné lâannulation de la dette vénézuélienne. Au même moment, le G7 est en train dâéliminer la dette bilatérale. Pourquoi? N.C. : Et bien ils en parlent, câest vrai. Les vénézuéliens furent les premiers, et ils ont entièrement annulé la dette. Le G7 a refusé. Lors de la réunion de Montréal, ils ont refusé dâaborder le sujet. Par la suite ils ont indiqué quâils pourraient faire quelque chose. Ils sont peut-être embarrassés par le geste vénézuélien. Mais je ne suis pas sûr de ce quâil en est réellement. Quant au F.M.I., qui fondamentalement est un rejeton du département du Trésor des E.U., ils en ont parlé mais jusquâà présent ils nâont pas convenu, pour autant que je le sache, dâannuler la dette. K.B. : Bellerive, le premier ministre dâHaïti, a remercié la République Dominicaine, Cuba et le Venezuela. La première a été louée pour ses efforts : fournir de la nourriture, des matériaux et des soins médicaux par exemple. Mais dans le même temps des renseignements à la frontière indiquent que des troupes dominicaines déportent manu militari les parents des patients haïtiens et parfois même ces derniers, à Jimani par exemple. Quelle est votre position sur ces développements contradictoires et y a-t-il un contexte historique que vous souhaitez mentionner ? N.C. : Et bien, ce que fait la République Dominicaine doit être décidé par les dominicains, mais la chose bien plus frappante, de mon point de vue, est que les E.U. nâont accueilli personne, pratiquement aucun réfugié, même pour des traitements médicaux. Et ce fut durement condamné par le doyen de lâUniversité de lâEcole Médicale de Miami, qui pensait que câétait tout bonnement criminel de ne pas ramener des haïtiens à Miami, où des installations médicales fantastiques sont disponibles, alors que les opérations de chirurgie sâeffectuent avec des scies à métaux à Haïti. Et en fait, lâune des premières réactions des E.U. au séisme fut dâenvoyer les Gardes Côte pour sâassurer quâil nây aurait nulle tentative de fuite dâHaïti. Câest proprement atroce. Les E.U. sont le pays le plus riche au monde, voisin dâHaïti. Ils devraient offrir tous les moyens dâassistance possibles. Il y a un certain contexte à prendre en compte ici. Le séisme fut une catastrophe de classe. Il nâa pas fait grand mal à lâélite riche des collines, ils furent secoués mais non détruits. Dâun autre côté les gens qui vivaient dans les bidonvilles urbains miséreux, un grand nombre dâentre eux, furent dévastés. Deux cent milles furent tués peut-être. Comment se fait-il quâils vivaient là ? Ils y vivaient car, cela date de lâépoque du système colonial français, au siècle passé, car cela provient des politiques des E.U., des politiques récurrentes. K.B. : Vous parlez de lâéradication par la force de lâagriculture paysanne dans les années 90? N.C. : Cela a débuté avec Woodrow Wilson. Lorsquâil a envahi lâHispaniola, Haïti et la République Dominicaine, son invasion fut particulièrement brutale dans les deux régions. Mais ce fut bien pire à Haïti. Et les raisons furent clairement spécifiées. K.B. : Le racisme. N.C. : Oui. Le département dâEtat déclara que, et bien, les dominicains avaient un peu de sang européen et quâils nâétaient donc pas si mauvais. Mais les haïtiens sont de purs nègres. Wilson envoya donc les marines pour dissoudre le parlement haïtien vu quâil ne voulait pas permettre aux entreprises états-uniennes dâacheter des terrains. Et il les a forcé à le faire. Câest lâune des nombreuses atrocités et crimes qui ont eu lieu. Pour rester sur le même sujet, cela accéléra la destruction de lâagriculture haïtienne et lâexode du peuple, de la campagne vers les villes. Ceci continuait encore sous Reagan. Sous Reagan, USAID et la Banque Mondiale mirent en place des programmes très explicites, créés spécialement pour détruire lâagriculture haïtienne. Ils ne sâen sont pas cachés. Ils argumentèrent quâHaïti ne devait pas avoir de système agricole mais des usines dâassemblages, avec des femmes qui cousent des balles de baseball dans des conditions misérables. Ce fut un autre coup dur pour lâagriculture haïtienne, mais néanmoins, même sous Reagan, Haïti produisait la majorité de son propre riz quand Clinton est arrivé. Lorsque Clinton remit au pouvoir Aristide, Clinton soutenant bien évidemment la junte militaire, ce qui est un autre petit secret⦠Il la soutenait vigoureusement en fait. Il permit même à la Texaco Oil Company dâenvoyer du pétrole en violation des directives présidentielles (Bush père a fait de même)⦠Bref, il autorisa finalement le retour du président, mais à condition quâil accepte les programmes de Marc Bazin, le candidat soutenu par les E.U. quâil avait battu lors des élections de 1990. Et cela signifiait un programme néolibéral sévère, sans barrières douanières. Ce qui signifiait quâHaïti devait importer son riz et dâautres marchandises agricoles des E.U. via lâagroalimentaire états-unien, qui obtient une grande partie de ses bénéfices grâce aux subventions de lâétat. Vous avez donc lâagroalimentaire états-unien fortement subventionné qui fait couler à flot ses marchandises agricoles sur Haïti ; les riziculteurs haïtiens sont efficaces mais personne ne peut concurrencer ceci, ce qui a donc accéléré la fuite vers les villes. Et ce nâétait pas comme si ils ne savaient pas ce qui allait se produire. USAID publiait des rapports en 1995 qui disaient que oui, cela va détruire lâagriculture haïtienne et que câétait une bonne chose. Et vous avez la fuite vers les villes et les émeutes de la faim en 2008 car ils ne peuvent produire leur propre nourriture. Et vous avez maintenant cette âcatastrophe de classeâ. Avec ce passé, dont ce nâest quâun maigre extrait, les E.U. devraient payer des réparations massives, pas uniquement des secours. Et la France aussi. Le rôle joué par les français est monstrueux. K. B. : Puis-je demander, en ce qui concerne Aristide qui se languissait en exile, si il a eu raison de retourner à Haïti en 1994 de la façon dont il lâa fait, accompagné des troupes états-uniennes ? Et aussi, a-t-il eu raison dâaccepter, sous une énorme pression bien sûr, les réformes néolibérales explicitées dans les accords de Paris ? N. C. : Et bien jâétais à Haïti presque à cette époque, en 1993. Jây suis resté un bout de temps, alors que la terreur atteignait son pic. Jâai été dans beaucoup dâendroits affreux dans le monde. Parmi les pires en fait. Mais je ne pense pas avoir vu quelque chose sâapprochant de la terreur et de la misère quâil y avait à Haïti sous la junte, avec Clinton qui la soutenait à lâépoque. Il y avait beaucoup d'échanges, jâai par exemple parlé avec feu le père Gérard Jean-Juste, lâune des personnalités les plus populaires dâHaïti, que le gouvernement avait récemment contraint à la clandestinité. Il était alors dans caché dans une église mais des amis haïtiens mâemmenèrent jusquâà lui. Il était très proche dâune grande partie de la population. Jâai discuté avec des dirigeants syndicaux qui avaient été battus et torturés mais souhaitaient parler, avec des activistes et dâautres. Et ce que la plupart me dirent était, le père Jean-Juste par exemple, ce quâil mâa dit était : « Ecoutez, je ne veux pas dâune invasion de marines, je pense que câest une mauvaise idée. Mais dâun autre côté, mon peuple, les gens dans les bidonvilles, La Saline, Cité Soleil et les autres, ils nâen peuvent plus ». Il me disait que « la torture est trop atroce, la terreur est trop affreuse. Ils accepteront tout ce qui y mettra un terme ». Et câétait le dilemme. Je nâai pas de réponse à ça. K.B. : Est-ce quâAristide a eu tort de contester les appels (par certains de ses sympathisants les plus militants) à la lutte armée en Haïti afin de restaurer la démocratie après le coup dâétat de 1991 ? N.C. : Pas selon moi. La lutte armée aurait mené à un horrible massacre. K.B. : Le 17 Février, Sarkozy fut accueilli par des manifestations de rue de plusieurs milliers dâHaïtiens qui brandissaient des images dâAristide en demandant son retour et des réparations pour ce que la France extorqua en échange de la reconnaissance de lâindépendance dâHaïti. Pendant cette allocution, Préval fut hué et il se retira dans sa jeep. Avec ce genre de sentiment qui se développe à Haïti actuellement, voyez vous le retour dâAristide comme une priorité importante, ou est-ce quelque chose de souhaitable mais de ne pas si urgent que cela ? N.C. : Et bien la réponse à cette question va être donné à Washington. Les E.U. et la France, les deux tortionnaires traditionnels dâHaïti, ont en réalité kidnappé Aristide en 2004 après avoir bloqué toute aide internationale au pays sous des prétextes douteux, sans base crédible, ce qui a bien évidemment grandement atteint cette économie fragile. Le chaos s'ensuivit et les E.U, la France et le Canada (2) sont arrivés, ont kidnappé Aristide â ils ont dit lâavoir secouru mais ils lâont kidnappé en fait -, lâont envoyé en Afrique centrale, son parti Fanmi Lavalas est interdit, ce qui explique probablement la très faible participation lors des récentes élections, et les E.U. ont et continue dâessayer non seulement de garder Aristide hors dâHaïti mais de lâhémisphère tout entier. K.B. : De quelle façon Aristide est-il contraint de rester exilé ? Par quels moyens exactement son statut de persona non grata est-il maintenu et par qui ? Quâest-ce qui lâempêche de se rendre dans un pays bien disposé proche dâHaïti, comme le Venezuela par exemple ? N.C. : Il pourrait y aller, mais si il essayait dâaller en République Dominicaine par exemple, ils ne le laisseraient pas entrer. Et il y a de bonnes raisons à cela. Les affaires internationales sont très semblables à la mafia, et le petit commerçant nâoffense pas le parrain. Câest trop dangereux. On peut prétendre le contraire, mais cela fonctionne ainsi. Il y eut un pays, la Jamaïque si je me souviens bien, qui autorisa lâentrée dâAristide malgré des pressions et protestations états-uniennes importantes. Peu de pays veulent prendre le risque dâoffenser les E.U. Câest une superpuissance dangereuse, violente. Je nâai pas besoin de vous le dire, vous connaissez lâhistoire de la République Dominicaine. Je nâai pas besoin de vous expliquez que ça fonctionne de cette façon. K.B. : En se basant, comme vous le dites, sur lâhéritage historique des E.U. en République Dominicaine, pouvons nous nous tourner vers le passé récent de cette dernière ? Etant donné que cette aide humanitaire est fournie au nom de la R.D. et quâelle remplit le vide laissé par un état haïtien faible, si nous remontons aux évènements qui mènent au coup dâétat de 2004, la déstabilisation active se déroula sous lâégide des E.U. via lâentraînement des rebelles paramilitaires, Guy Philippe et Louis Jodel Chamblain⦠N.C. : Je sais. Ils leur avaient fournis une base. K.B. : Nây a tâil pas une sorte de contradiction dâassurer la charité pour des gens que vous vous êtes efforcés de déstabiliser et de déstructurer ? N.C. : Et bien vous pouvez appeler ça une contradiction si vous le souhaitez, mais câen est une aussi pour Sarkozy et Clinton que dâapparaître à Haïti sans excuses pour les terribles crimes que la France et les E.U., sous Clinton particulièrement, ont commis contre Haïti. Mais ils ne le font pas. Le dirigeant de Toyota a dû aller au Congrès et sâexcuser pendant des heures parce que des personnes ont été tuées par des voitures Toyota, mais est-ce que Clinton doit y aller et sâexcuser pour ce quâil a fait à Haïti ? Il leur a donné un coup fatal. Est-ce que Sarkozy doit sâexcuser pour le fait quâHaïti était la colonie française la plus riche, source dâune bonne part de la richesse française, quâils détruisirent le pays et demandèrent ensuite une indemnité pour lâaffranchir, dont le pays ne put jamais s'acquitter ? Il y a quelques années, en 2002 je pense, Aristide demanda à la France, à Chirac, quelques remboursements pour la lourde dette quâHaïti avait dû leur payer⦠K.B. : 21 milliards de dollars⦠N.C. : Oui, pour cette énorme dette quâHaïti a dû leur payer. Et ils ont créé une commission dirigée par Régis Debray, un ancien radical. Et la commission affirma que la France nâavait pas besoin de donner quelque compensation que ce soit. En dâautres termes, au début nous volons, puis nous détruisons, et lorsquâils demandent un peu dâaide, on leur balance une droite. Ce nâest pas surprenant. K.B. : Bien quâà la même époque, des sources affirmaient quâalors que la France feignait lâindifférence, elle était en fait inquiète quâun chef dâétat porte plainte avec des preuves documentées écrasantes devant un arbitrage international. N.C. : Et bien ils nâavaient pas vraiment à sâinquiéter, puisque vu la façon dont les politiques de puissance fonctionnent, la Cour Pénale Internationale ne peut rien faire. Regardez, il y a un pays dans le monde actuellement qui a refusé dâaccepter les décisions de la C.P.I., câest les E.U. Est-ce que quelquâun va faire quoi que ce soit quant à ce sujet ? K.B. : Vous avez mentionné Clinton, actuellement envoyé spécial de lâONU à Haïti, qui espère courtiser les investisseurs étrangers et continue à se focaliser sur le textile à bas salaires pour le développement économique haïtien. Lâobjectif de lâéconomiste néolibéral Paul Collier, conseiller spécial pour lâONU en 2009, domine la perspective onusienne dâHaïti. Partisan lui-même de la croissance par les ateliers de vêtements, il a fait lâéloge de la très mal aimée force dâoccupation MINUSTAH et a même dit que la République Dominicaine « nâest pas engagée dans des types dâactivités, telles que le soutien clandestin aux groupes de guérilla, qui atteint beaucoup dâautres états fragiles ». Est-ce quâun vrai humanitaire comme Paul Farmer, qui représente un modèle de développement différent basé sur des salaires justes, la santé publique et le renforcement de lâétat haïtien, influence lâONU en tant quâenvoyé spécial adjoint ? N.C. : Câest un choix difficile. Je ne lui reproche pas dâessayer. On vit dans ce monde, pas dans celui que nous voudrions, et il est parfois nécessaire de suivre des chemins difficiles si nous espérons pouvoir fournir au moins un peu dâaide aux personnes qui souffrent. Câest ce quâon fait le père Jean-Juste et les marines. K.B. : Vous avez mentionné la création par les médias dâune distinction artificielle entre la « mauvaise » et « bonne gauche » sud-américaine, en omettant lâimportante collaboration du Brésil avec le Venezuela afin de pouvoir maintenir ce point de vue. Cependant, en ce qui concerne Haïti, le Brésil nâa-t-il pas légitimement assuré sa position dans la « bonne gauche » ? Un gouvernement de centre gauche fut le fer de lance de lâoccupation MINUSTAH et sâest engagé à augmenter sa présence, après avoir pris le relais des architectes impériaux du coup dâétat (E.U., France et Canada). Quels facteurs lâont rendu si vigoureux pour soutenir un autre président récemment déchu dâun pays également peu important géopolitiquement (Zelaya du Honduras) ? N.C. : Bonnes questions. Je nâai rien vu de concret à propos des décisions du Brésil sur ces questions. K.B. : Un commentaire sur les médias états-uniens quant à Haïti après le tremblement de terre ? Par exemple, des déclarations telles que « pacte avec le diable » de Pat Robertson, « culture réfractaire au progrès » de David Brooks, les appels au capital transnational afin de créer plus dâusines de vêtements (Kirstof), Aristide décrit comme un despote et un tricheur (John Lee Anderson). Même Amy Wilentz a comparé Aristide avec Duvalier dans le New York Times. N.C. : Ce fut principalement exécrable, mais je nâen ai pas gardé trace. Le pire tient dans le fait dâignorer notre propre rôle scandaleux qui a contribué à cette catastrophe, et le refus consécutif de réagir comme nâimporte quelle personne le ferait, avec des réparations massives, dirigées vers les organisations populaires. Il en est de même pour la France. K.B. : Ma dernière question concerne le futur: ce furent deux décennies démoralisantes pour la mobilisation populaire, de 1990 à 2010, pour le changement politique en Haiti, et pour comment procéder, et je me demande maintenant que le peuple haïtien sâest battu si durement pendant 25 ans via la démocratie parlementaire et a si peu gagné, quelles leçons ont été apprises et quelles stratégies sont possibles maintenant quâils ont épuisé cette approche démocratique, parlementaire ? Il y a eu deux coups dâétat et des milliers dâassassinés et torturés pendant ce processus. N.C. : Malheureusement, les leçons sont quâun petit pays faible faisant face à une superpuissance extrêmement hostile et très violente ne fera pas beaucoup de progrès sans un fort mouvement de solidarité à lâintérieur de la superpuissance qui restreindrait ses actions. Avec plus de soutien à lâintérieur des E.U., je pense que les efforts haïtiens auraient pu réussir. Et câest valable aujourdâhui. Prenez lâaide qui arrive. Il y a lâaide qui arrive, nous devons montrer que nous sommes sympathiques et ainsi de suite. Mais lâaide devrait parvenir aux organisations populaires haïtiennes. Pas aux entrepreneurs ni aux ONG, mais à aux organisations populaires haïtiennes, et ils devraient décider ce quâil convient dâen faire. Bien, vous savez que ce nâest pas le plan du G7. Ils ne veulent pas des organisations populaires ; ils nâaiment pas les mouvements populaires ; ils nâaiment pas la démocratie en fait. Ce quâils veulent c'est que les riches et les puissants soient aux commandes. Et bien, si il y avait un fort mouvement de solidarité aux E.U. et dans le monde, cela pourrait changer.
(0) /livres/an501_08.html (1) http://www.guardian.co.uk/world/2010/jan/22/haitian-empowerment-prime-goal (2) Lâindustrie minière canadienne possède dâimportants sites dâextraction en Haïti (NdT) |